Croc-Blanc – Jack London

Dans le grand Nord, non loin des hommes, une louve met bas un louveteau. Elle-même est fille d’un loup et d’une chienne, et son petit a donc un quart de sang chien. Et cela conditionnera sa vie. L’histoire du louveteau est celle de ses trois maitres successifs. D’abord l’indien, qui lui donne le nom de Croc-Blanc et fait de lui un chien de traîneau. Son goût excessif pour le whisky l’amène à vendre Croc-Blanc à un méprisable visage pâle, qui s’empresse d’organiser des combats de chiens avec sa nouvelle acquisition. Le jeune loup apprend la haine. Au cours d’un combat avec un bouledogue, celui-ci a le dessus ; l’étau de sa gueule se resserre autour de la gorge de Croc-Blanc qui suffoque. Fort heureusement, un homme civilisé, juge de son état, passe par là, achète le vaincu pour une bouchée de pain et le soigne. Très prudemment, il lui réapprend à vivre. Croc-Blanc sera emmené par son nouveau maitre en Californie. Là, il sauve la vie de toute une maisonnée contre les attaques d’un malfrat et devient père d’une portée de chiots. Le seigneur des espaces blancs s’est presque transformé en gardien de ranch. L’histoire finit-elle bien ? L’auteur prend bien soin de ne pas répondre.

Les livres simples sont bien souvent les plus complexes. Et Croc-Blanc confirme cette loi. L’histoire de ce jeune loup est d’abord une suite d’aventures, voulues et écrites comme telle par un auteur qui connaissait son public. Pourtant, l’exotisme n’est pas la part importante du récit : aucune description pittoresque d’Indiens ou de trappeurs ne vient l’égayer. C’est que Jack London veut nous offrir une leçon. La société, celle des hommes comme celle des animaux est impitoyable pour ceux qui ne sont pas nés forts ou intelligents. On reconnaît ici l’influence de la théorie de Darwin sur la « sélection naturelle » : on sait que De l’origine des espèces était l’un des livres de chevet de l’écrivain.

Plus d’un critique a noté l’importance du loup dans l’œuvre romanesque de London. D’abord pour dire que les loups de cette fresque du Grand Nord correspondent plus au mythe existant dans la mentalité collective, qu’à l’animal décrit par les observateurs de la vie animal. Habilement, le romancier en a accru le mystère et la férocité, connaissant bien la réceptivité, le besoin d’émotions des lecteurs de tous âge. En fait le loup n’a aucunement l’habitude de s’en prendre à l’homme ; c’est un animal plus timide qu’agressif, largement victime de la réputation que lui ont faite les fabulistes et conteurs, parmi lesquels London de même que La Fontaine chez nous figurent au premier plan.

Extrait

Les hommes qui adorent les dieux les veulent immatériels, les placent au-dessus des lois naturelles, les font vivre dans un univers inaccessible, où s’effondrent dans un combat imaginaire le Vrai et le Faux, le Beau et le Laid, le Bien et le Mal. S’ils se perdent dans ce dédale, ou si le doute les assaille, ils peuvent briser leurs idoles et les remplacer par d’autres, tout aussi irréelles. Le chien et le loup domestique n’ont pas ce recours, ni cette versatilité. Les dieux qu’ils vénèrent sont des êtres de chair et de sang. Ils les perçoivent avec leurs sens, et partagent avec eux le temps et l’espace d’une existence bien concrète. Ce n’est pas la foi qui les crée, et le doute ne les fait pas disparaître. Ils sont toujours là, debout sur leurs pattes postérieures, un bâton ou un morceau de viande à la main. Ils peuvent souffrir, saigner, mourir, et même être mangés. Une seule chose leur est impossible : cesser d’être des dieux.

Extrait 2

Mais ce qui rendait Croc-Blanc proprement imbattable, plus encore que sa vitesse ou sa stabilité, c’était son extraordinaire expérience. Il avait tout vu, tout éprouvé, tout essayé. Aucune ruse, aucune feinte, si subtile fût-elle, ne pouvait le désarçonner, alors que son propre arsenal de mauvais tours en comportait toujours au moins un que son adversaire ne connaissait pas. Possédant toutes les tactiques, il n’en privilégiait aucune, ne se laissait jamais surprendre, découvrant sans peine le point faible de son ennemi et frappant ensuite, inlassablement, jusqu’à la mort.

Extrait 3

« Être le meilleur fut bientôt l’unique but du louveteau. Menacé de toutes parts, entouré d’ennemis, privé de tout soutien, il ne pouvait survivre qu’en développant à l’extrême les dons qu’il avait reçus à sa naissance. Il devint donc plus fort que les autres chiens, plus rapide, plus souple, plus élancé, plus endurant, plus cruel, plus rusé, plus féroce, plus intelligent aussi. Il n’avait pas d’autre choix. Pour ne pas être écrasé par un environnement hostile, plus dangereux que le Wild lui-même, il devait puiser dans son héritage de loup, en tirer les qualités qui avaient permis à ses ancêtres de vaincre des siècles d’adversité, les concentrer, les rassembler, en faire des armes plus redoutables

Extrait 4

Son destin aurait pu être autre. Qu’il fût né dans une tanière, qu’il eût appris à chasser et à tuer avant de savoir obéir, cela ne comptait pas. Si Lip-lip ne l’avait pas poursuivi, il aurait grandi au milieu des autres chiots et aurait fini par les aimer. Si Castor Gris avait été moins brutal, plus attentif, au lieu de se montrer aussi sauvage que lui, il aurait pu apprendre l’amour, l’amitié et la tendresse. Mais les choses ne s’étaient pas déroulées ainsi. Le moule dans lequel il avait été formé avait été trop dur, trop rigide. Il lui devait d’être ce qu’il était désormais : un jeune loup féroce et solitaire, arraché à son milieu naturel et devenu l’ennemi de sa race.

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